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L’aérien face à la plus grande crise de son histoire

15 février 2021
Transport et mobilités

En Janvier 2020, le secteur de l’aérien se portait bien ; les prévisions de croissance étaient bonnes (+ 4% par an jusqu’en 2050) et les carnets de commandes des avionneurs étaient pleins. Dès fin-Janvier, la ville de Wuhan se confine et 2 mois plus tard c’est le monde entier qui en fait de même. Petit à petit les pays ferment leurs frontières, les vols s'annulent les uns après les autres et les compagnies aériennes commencent à perdre beaucoup d’argent et cela rapidement. Elles ont dû réagir très vite car il n’était plus seulement question de faire des économies, mais de survivre.

Les grands groupes européens (IAG, Air France-KLM et Lufthansa) ont vu leurs liquidités fondre comme neige au soleil (-3 milliards d'euros en 2 mois) pour être en négatif au 4ème trimestre. A titre d’exemple, le groupe Air France-KLM, est passé de +6,5 milliards d’Euros de liquidités en février 2020 à -2,1 milliards d’Euros en fin d’année. Le groupe allemand Lufthansa est passé de +4,9 milliards à -4,7 milliards d’euros en 8 mois. En 2020, le trafic aérien mondial a reculé de 21 ans (-67% de passagers transportés par rapport à 2019) pour revenir à un niveau équivalent à 1999 et annulant près de 30 ans de résultats. En Europe, pas moins de 6000 lignes aériennes ont disparu et n’ont toujours pas été rouvertes.

Les pertes sont colossales et les plans de crise exceptionnels se sont succédés pour limiter la casse : 

  • Réduction des effectifs: suppressions d’emplois, plans de départs volontaires, chômage partiel ou total…. Selon le CAE (un centre de formation et d'entraînement de pilotes), le nombre de pilotes dans le monde a baissé de 87 000 depuis la crise.
  • Retrait de flotte anticipé des avions les plus anciens et les plus gros. Certains avions sont revendus pour être loués derrière afin d’avoir un apport en liquidités immédiat. Cette crise a précipité la fin de l’âge d’or des « Jumbo Jets », ces paquebots des airs pouvant transporter plus de 500 personnes à travers le monde. British Airways, KLM et Qantas, les plus gros opérateurs de Boeing 747 les retirent définitivement ; Air France et Lufthansa retirent leurs Airbus A380. 
  • Environ 80% de la flotte mondiale a été clouée au sol au plus dur de la crise et 30% est encore en stockage de longue durée et n’a pas volé depuis mars. 
  • La demande en Fret ayant augmenté (+15%), des avions passagers ont été utilisés en « Preighters » pour faire du tout cargo. 

La situation est urgente, certaines compagnies n’ont pas plus de 6 mois de survie, elles se sont tournées vers les marchés financiers mais aussi les États pour les aider. Ces derniers sont intervenus via des plans de relance et prêts garantis de plusieurs milliards d’euros (Par exemple: 200 milliards aux Etats Unis). Or si les pays occidentaux mettent le paquet sur les compagnies aériennes, c’est aussi parce qu'il s’agit d’un soutien aux industriels du secteur qui sont dans ces pays. Dès le début de la crise, Airbus a refusé les aides de l'État, arguant qu’il était préférable de sauver ses clients, pour limiter l’impact en termes d’emploi et d’activité sur toute la chaîne logistique industrielle. Les gestionnaires d’aéroports ne sont pas en reste: -50% de Chiffre d’Affaires et suppression de 10% des effectifs pour Aéroports de Paris.  On estime, aujourd’hui, que 90 000 emplois au global sont menacés rien qu’autour de l’aéroport de Roissy. 

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Avec ce bilan alarmant de 2020, quelles sont les perspectives futures pour le secteur aérien ?

Pour 2021, l’IATA (Association Internationale du Transport Aérien) prévoit une baisse de 51% des revenus des compagnies aériennes par rapport à ceux pré-crise de 2019 et une perte sèche de 39 milliards de dollars (contre 119 milliards de pertes en 2020). De nouvelles estimations font état d’une reprise progressive mais très lente : pour 2050, les nouvelles estimations moyennes sont de 16% inférieures à celles d’avant crise avec un retour de trafic de 2019 pas attendu avant la fin de la décennie. Une exception est déjà observée en Chine où le trafic intérieur est même repassé au-dessus de celui de 2019. 

Malgré l’arrivée des premiers vaccins, pour que la reprise du trafic international soit possible, l’IATA milite auprès des gouvernements pour la mise en place d’un passeport Santé et la réouverture des frontières. Elle prépare d’ailleurs une application mobile « Passeport Covid » pour fluidifier les démarches au départ et à l’arrivée et qui devrait débarquer au premier trimestre 2021. Les aéroports sont également en train de mettre en place des centres de tests pour vérifier que les passagers sont aptes à embarquer.

Si les restrictions de voyage sont peu à peu levées, il n’en reste pas moins que les habitudes et considérations des populations ont été profondément changées avec cette crise et vont impacter durablement l’aérien. On estime de 5% à 10% la baisse des voyages d'affaires liés au développement des nouvelles technologies (visio/audio-conférences, signatures électroniques etc). Par ailleurs, l’enjeu écologique devient un sujet important et le phénomène « flygskam » ou la honte de prendre l’avion, apparu en Suède en 2019, devrait prendre encore plus d’ampleur dans les années à venir. Tous les acteurs de l’aviation en général en sont bien conscients et travaillent depuis plusieurs décennies à une aviation plus « verte ». De plus, les prêts étatiques, octroyés notamment aux compagnies aériennes, comportent désormais une contrepartie d’effort écologique. Le prêt de 7 milliards d’euros à Air France est, par exemple, conditionné à une réduction de 50% par rapport à 2005 de ses émissions de CO2. Or, pour une compagnie aérienne, un des moyens les plus rapides et efficaces est d’investir dans des avions de dernière génération. C’est pourquoi elles ne cherchent pour le moment pas toutes à annuler leurs commandes d’avions neufs mais plutôt à repousser les dates de livraison pour ne pas être impactées financièrement trop tôt. Airbus a, malgré tout, annoncé qu’il prévoyait de produire 40 avions par mois en 2021 (par rapport aux 70 par mois en 2019), car l’enjeu pour le constructeur est aussi de maintenir un niveau d’activité suffisant pour préserver tous ses fournisseurs en difficulté. Pour autant, cette crise n’arrête pas l’innovation et le progrès puisque le constructeur européen a annoncé fin-septembre 3 nouveaux concepts d’avions à hydrogène (horizon 2035) permettant de réduire encore plus l’empreinte écologique de l’aviation dans le futur.

L’avenir proche de l’aérien n’est pas optimiste, les prêts octroyés aux compagnies risquent de ne pas être suffisants pour subsister si la fermeture des frontières perdure. Des plans de licenciements et des faillites restent donc encore à prévoir. Si la situation s’aggrave, nous pourrons assister au retour, temporaire, d’une renationalisation des fleurons nationaux (Alitalia, déjà en grandes difficultés depuis plus de 10 ans, en est le premier exemple). Néanmoins cette crise doit être l’occasion pour les compagnies et constructeurs d’investir et d'innover pour rester compétitifs et proposer les meilleures réponses aux enjeux à venir. Il est fort à parier que l’aérien de demain sera plus local, avec des avions de capacité plus modeste et plus respectueux de l’environnement.